LA VALSE DES CERFS VOLANTS
Mouloud, c'est ainsi qu'on le surnommait, ne ressemblait à personne. Il n'avait rien d'un africain même s'il avait les lèvres épaisses, pas plus qu'il n'était asiatique bien que ses yeux étaient bridés. Il était lui un point c'est tout et c'était là déjà beaucoup!
De de son vrai nom Lucien, Mouloud habitait dans un ancien couvent réhabilité pour une partie en logements et pour l'autre en espaces d'animation ! Cette grande bâtisse, qu'il appelait fièrement son château était pour lui un lieu pharaonique, un Disney world avant-gardiste qui sentait bon le vieux plancher encaustiqué! Situé dans l'enceinte d'une grande cour de récré à demi couverte d'un préau dans lequel s'encastrait, par on ne sait quelle magie un un magnifique tilleul parfumé , le bâtiment était accolé au cinéma du village. Dans son complexes cinq étoiles, appelé plus communément le patronage, se retrouvaient le jeudi et jours de vacances tous les gamins du canton, Des copains y 'en avaient plein! Jamais le temps de s'ennuyer! A dévaler les escaliers, les fond culottes étaient usés l
Son père , travaillait à la poste et faisait comme il le disait si bien un Petit Travail Tranquille. Tous les matins , après avoir mis sa casquette, son beau costume bleu foncé d'hiver ou clair en été, il endossait sa sacoche de facteur et enfourchait son vieux vélo pour préparer sa tournée! A ses heures perdues il s'occupait du cinéma et de la fanfare, ce qui n'était pas pour déplaire à Lulu qui le suivait comme son ombre, s'essayant tantôt au rembobinage du film tantôt au roulement du tambour!
Sa mère elle, Marie Madeleine Tournevel s'affairait elle, toute la journée à faire le ménage chez les friqués, le repassage du vieux curé et le reprisage des fonds culottes qui n'en finissaient pas de s'user! Il l'adorait la Marie Madeleine avec ses longs cheveux soyeux rehaussés de chaque côté par des jolis peignes dorés , même qu'il aurait voulu s' la garder au lieu de devoir la partager avec tous les gamins du quartier!
Mouloud, il n'aimait pas les boîtes qu'il trouvait trop étroites et sentaient toutes le renfermé! Lui, il préférait le grand air et la cime des arbres , la musique des noirs et le son des fanfares...
Tableau 2 Mais Mouloud sans le savoir, faisait le désespoir des siens !
Excédés par ce petit garçon qui décidément ne ressemblait à rien et ne rentrait dans rien, maîtres et maîtresses se mirent un jour en tête de le changer, de l'éduquer, de le rendre plus conforme pour qu'il soit dans la norme!
Dans l'insouciance de ses dix ans, Lucien trouvait le monde bien compliqué! Qu'avaient donc tous ces grands à vouloir l'enfermer , le transformer! Pourquoi disait-on toujours de lui qu'il n'arriverait à rien! Qu'il était cabochard, illettré et ignare! Il était lui un point c'est tout et c'était là déjà beaucoup! Pourtant, il n'était pas si bête et il en connaissait des choses ! La Fontaine, par exemple c'était quand même quelqu'un , même son maître il le disait, et bien lui Lulu, savait mieux que quiconque toutes les fables de ce grand homme ! Celle du corbeau stupide qui se faisait piquer son fromage; de la cigale rock star qui criait famine à la fourmi radine aussi pingre que sa voisine la mère Pichard ; de la grenouille qui voulait être aussi grosse qu'un bœuf et qui avait fini par péter comme son ballon de baudruche sur la cour de récré.... Et puis lui aussi preuve qu'il n'était pas stupide, il adorait la poésie surtout quand elle était de lui !
Un jour le maître l'avait surpris au milieu de ses rêveries: " Lucien, ce n'est pas en écrivant tes inepties que tu réussiras dans la vie! lui avait -il dit alors d'un ton plein de reproches. Certes ce jour là, Lulu n'avait pas tout compris mais quand toute la classe avait bien ri! Les mots, se disait-il alors, ça ne laisse pas de traces dessus la peau ça fait juste des bleus au cœur mais on ne les voit que de l'intérieur! Dehors qui devinera qu'il est idiot si lui Mouloud n'en pipe pas mot! Il la trouvait pourtant jolie sa poésie! Tant pis! Il l'avait mise à l'intérieur à côté de ses bleus au cœur!
Au début c'est vrai, ça le faisait presque pleurer et quand son père le voyait renifler le cartable plein de contrariétés, il n'arrêtait pas de lui répéter: " Lulu, arrête de pleurnicher! Mets donc tout ça dedans ta poche et pose ton mouchoir par-dessus! N'y pense plus ! Pour sûr, il avait l'air de bien la connaître la chanson son père! Il avait du remplir ses poches et user des tonnes de mouchoirs!
Mais, qu'avait-il donc de si étrange pour s'attirer toujours ainsi les railleries de ses camarades à l'école! D'accord il n'aimait pas la symétrie et boudait les maths sans merci mais c'était là son seul délit! Était ce vraiment sa faute à lui si à l'ordre il préférait le désordre, les choses jamais bien alignées ; les notes qui dansent sur la portée! Et puis comment aurait -il pu savoir quoi acheter avec 1 franc lui qui n'avait jamais un sou en poche, même que sa mère lui disait toujours: " lulu t'es une vraie poche percée, il te manquera toujours deux sous pour faire un franc!
A suivre.....